L'Héritage des Kaguya

Le duo avait posé pied sur la partie sud de l’île, à l’opposée d’où un navire impérial était accosté, indiquant la présence de ces derniers ici. Emi n’était pas inquiète, car elle savait de toute façon qu’ils ne pourraient pas les suivre là où ils allaient. Ils se dirigèrent alors droit vers le centre de l’île, tel que la Kaguya l’avait indiqué plus tôt. Bien qu’Emi n’avait pas mit les pieds ici depuis des années, c’était comme si l’île elle même lui indiquait le chemin à suivre, la reconnaissant comme une Kaguya digne de fouler ces terres. Après une bonne trentaine de minute de marche à travers des terrains difficiles, ils arrivaient finalement à destination.



Devant eux se trouvait une étendue vierge, entourée d’ossements en tout genre. L’endroit ne paraissait pas si différent du reste de l’île à première vue. Emi se saisit alors d’un morceau de roche plutôt gros qui traînait par là, puis le balança à travers le sentier qui se trouvait devant eux. Subitement, lorsque celui-ci toucha le sol, il fut transpercé net par une dizaine d’ossements qui surgirent de terre. Elle annonça alors :



Et tacitement, les mêmes défis qu’avait du relever Emi lorsqu’elle n’était encore qu’une enfant. Manjiro avait au moins cet avantage, il était déjà adulte, bien que cela ne changeait en rien la dangerosité des épreuves, il avait la chance d’avoir de l’expérience, ce qui était loin d’être le cas des siens à l’époque.





Cette épreuve était plutôt simple, lorsque l’on en connaissait les conditions. Celle-ci était faite pour maîtriser la peur. En effet, les ossements jonchés sous le sol réagissaient au moindre mouvement, sauf à ceux d’une personne qui savait canaliser sa peur. Tout ce qu’il fallait faire, c’était traverser ces cinq cent mètres pour atteindre un étrange mur fait d’ossements. Sans émettre le moindre doute, sans le moindre geste involontaire, sans peur.

En observant le navire impérial, Manjiro ne put nullement s’empêcher :


Bien évidemment, ce n’était pas au programme de la Kaguya. Plusieurs dizaines de minutes plus tard, cette dernière lui fit constater quelque chose d’aussi intriguant qu’inquiétant : l’île semblait vivante. Elle était capable d’activer des pièges. Comment se faisait-il, alors, que l’Empire pouvait si facilement y accoster ? La question avait des airs d’énigme… à moins que la présence d’un Kaguya ne soit la véritable clé. Emi expliqua alors qu’il s’agissait d’une épreuve liée à la peur, un rite ancien destiné à éprouver les siens.

Blabla, pensa Manjiro en soupirant. Pour lui, ce n’était qu’une histoire bonne à effrayer les enfants. En quoi consistait donc l’exploit de traverser un sentier piégé sans un geste, sans un frisson, sans prendre le moindre risque ?

Tandis qu’elle parlait, le jeune homme ramassait des cailloux à gauche et à droite. Il n’avait pas peur mais il voulait de l’action. Et il n’en aurait pas si le mécanisme restait muet.

Il fit rouler un premier caillou dans sa main, un sourire au coin des lèvres, puis le lança en biais sur le sentier. Aussitôt, une salve d’ossements jaillit du sol, transperçant l’air comme des lames blanches affamées.


Il haussa les épaules, son ton oscillant entre la désinvolture et la provocation. Un second caillou fila dans l’air, déclenchant une nouvelle rafale meurtrière.

Se redressant, il planta son regard dans celui d’Emi. Ses yeux brillaient d’un éclat presque enfantin, mélange d’excitation et de défi. Lentement, il détacha les poids fixés à ses chevilles, qui tombèrent lourdement au sol dans un bruit mat.


Sans attendre de réponse, il s’élança. Non pas d’un pas hésitant, mais d’une marche ferme et assurée. Chaque foulée faisait résonner ses geta contre la terre, comme une provocation directe adressée au sentier. Le vacarme suffit à réveiller la colère des ossements.

Dès le troisième pas, le sol vibra et une nuée de pieux jaillit à ses côtés. Loin de reculer, Manjiro éclata d’un rire bref. Il lança un autre caillou plus loin, déclenchant une salve décalée, puis bondit sur le côté pour exploiter l’ouverture. Chaque projectile arrachait une riposte de l’île, et chaque riposte devenait pour lui une opportunité d’avancer.

Encore et encore, il répéta la manœuvre. Sa silhouette se mouvait avec souplesse entre les gerbes d’os, non pas pour les éviter avec prudence, mais pour les provoquer, comme s’il menait une danse guerrière. Ses mouvements ressemblaient à un combat improvisé, où l’ennemi invisible prenait la forme d’un sol hargneux.

Mais plus il avançait, plus le sol réagissait avec frénésie. Les attaques devenaient chaotiques, moins prévisibles, comme si l’île, vexée d’être tournée en ridicule, cherchait à s’adapter à son insolence.

Chaque rire, chaque bond, chaque caillou jeté semblait défier le rite ancestral.... Une fois au bout du chemin, il beugla :

Emi préféra rester silencieuse, ne considérant les mots du Chikara que comme une acceptation. Elle suivait à peu de choses près les coutumes qu’elle connaissait, et Manjiro ne pouvait nullement bénéficier de son aide au cour des épreuves, même si sa vie était à deux doigt de le quitter. Par chance, il était quelqu’un de très présomptueux et téméraire, si bien que la Kaguya ne fut pas étonnée de le voir réussir aussi facilement, montrant presque un certain irrespect pour ce rite qui remontait à plusieurs siècles. Emi commença alors à traverser à son tour pour rejoindre Manjiro, sous ses pas le sol n’offrait pas la moindre réaction et elle arriva rapidement au niveau de l’apprenti, où se trouvait un mur qui semblait n’être en fait qu’un amoncellement de nombreux ossements.



En effet, Manjiro était loin d’être arrivé au bout de ses peines. Si cette épreuve pouvait sembler facile pour quelqu’un qui ne connaissait pas la peur, par courage ou par stupidité, la Kaguya savait que le reste n’allait pas être aussi simple. Elle ne donna pas le moindre conseil, non, elle ne le pouvait, mais elle profitait de cet instant pour se rappeler certaines préceptes de son clan.



La Kaguya posa alors sa main sur le mur constitués d’os, et comme-ci celui-ci réagissait à son chakra, il s’ouvrit petit à petit, laissant au duo l’accès à une grotte qui semblait descendre jusqu’au cœur de l’île. C’était peut-être la première fois qu’un non-Chikara parvenait si loin, Emi ne savait pas comment l’île prendrait cette tentative. Verrait-elle cela comme un affront ? Ou reconnaissait-elle les forts qu’importe leur origine ? Pour l’heure, l’île semblait tolérer sa présence ici. Sur le chemin descendant vers les profondeurs, Emi poursuivit :



Les murs de la grotte étaient fait de la même composition que le sol de l’île. De la roche, mélangée à des ossements fossilisés, certains de ces ossements étaient de jeunes Kaguya ayant échoués aux épreuves, certaines étaient les restes de Kaguya étant venu finir leurs jours ici, tandis que d’autres étaient liés à divers sacrifices.
Il y avait évidemment eu quelques exceptions, car seuls ceux qui avait montré l’usage du pouvoir Kaguya étaient amenés ici. Ironiquement, les individus « impurs » échappaient aux rites, tel que Sayuri ou Kaiya qui, de leur statut de bâtardes, n’avaient jamais été capable de faire usage du don clanique et n’aurait de toute façon jamais été reconnues comme membre du clan à part entière. En vivant sur l’île, elles auraient probablement été tuées d’une manière ou d’une autre par le clan originel, vivre à Kiri, même en étant discriminée, était alors finalement la meilleure chose qui aurait pu leur arriver.



Dit la Kaguya alors qu’ils pénétraient tout deux au sein d’une salle relativement grande. Dans celle-ci se trouvait un point d’eau au dessus duquel passait un pont en pierre. La Kaguya fit le premier pas sur celui-ci et tandis qu’elle observait l’eau, elle pouvait constater que cette épreuve semblait être intacte elle aussi. Dans la petite centaine de mètres d’eau qui se trouvait sous le pont vivait une espèce particulière de poisson, ces derniers étaient en effet particulièrement friand de la chair, et celle humaine était un met qu’ils étaient loin de refuser.

Cette épreuve testait la résilience, c’est également ici que beaucoup des Kaguya utilisèrent le Teikou no Jutsu en situation réelle pour la première fois. Une technique clanique rendant plus ou moins insensible. Manjiro n’avait pas cette chance, il allait devoir souffrir et continuer à nager tout en supportant la douleur. En revanche, tu ne t’attendais pas à la suite, car l’île semblait répondre aux provocations du Chikara, comme si elle acceptait de jouer avec lui, selon ses propres règles.

Le sol trembla un instant, et le couloir d’eau s’étendit d’une nouvelle centaine de mètres juste sous leur yeux. Puis, lorsque cette étape fut terminée, l’étendue d’eau se fit recouvrir totalement d’ossements, ne laissant alors qu’une entrée et une sortie pour y accéder. Non content de devoir traverser à la nage, Manjiro allait désormais devoir le faire en restant sous apnée durant les deux cents mètres.



Dit la Kaguya presque souriante. Manjiro ne pouvait s’en prendre qu’à lui même, mais Emi devinait déjà que cela ne ferait que motiver d’autant plus son élève. Il vivait un honneur que peu de Kaguya avaient eus, car l’île répondait directement à sa présence… ou peut-être rendait-elle simplement les épreuves plus difficiles car il n’était pas l’un des leurs ?

Encore ce flot de paroles… Emi aimait s’écouter. Elle ne parlait pas beaucoup, mais chaque mot semblait travaillé, ajusté, comme si elle cherchait à paraître mystérieuse ; ou au moins à en donner l’impression. Face à l’étendue d’eau, Manjiro ricana, un rire bref et sec qui brisa le silence lourd du lieu.


À ses yeux, le peuple Kirijin avait toujours eu plus de valeur que Konoha. Les Kaguya incarnaient la guerre véritable, celle qui forgeait les hommes, pas comme ces Konohajin qu’il méprisait, toujours prompts à fuir ou à se rallier au chef du moment. Sa haine envers Chikara Tensai restait vive, mais une flamme nouvelle alimentait désormais sa détermination : l’envie de l’écraser, lui, ce parasite qui suivait ses pas. L’inaction, il la méprisait ; et trop de faibles survivaient encore en se repaissant des miettes laissées par les autres.

Le mot « traverser » ramena son attention sur l’eau devant lui. Traverser, encore… Ce qui signifiait se mouiller, à nouveau. Et retrouver ces maudits poissons. Décidément, les Kirijins entretenaient une obsession malsaine pour ces créatures puantes.

L’île, quant à elle, semblait réagir à leur présence. Comme si chaque pas éveillait quelque chose de latent. Le plan qu’il avait élaboré s’effondrait déjà. Dommage… il aurait préféré éviter de plonger son corps dans cette mare verdâtre, à l’odeur de vase.


Il s’accroupit et détailla la surface. L’eau, d’un vert sombre presque noir, se brouillait de reflets troubles qui masquaient ce qui bougeait en dessous. Des bancs de poissons passaient, rapides, effleurant la surface dans un clapotis discret. Manjiro, qui avait pourtant souvent pêché au fil de ses voyages, n’en reconnut aucun. Leur silhouette était plus trapue que la normale, leur dentition trop marquée pour de simples poissons, et leurs yeux globuleux, d’un blanc vitreux traversé de nervures rouges, lui rappelaient malgré lui ceux des Gaikotsu.


Il soupira, ôta son haut d’un geste sec, et se résigna. Tant pis, il continuerait torse nu. Sans attendre davantage, il plongea dans l’eau et commença sa traversée.

La morsure ne tarda pas. Une première piqûre cuisante, suivie d’une seconde, puis d’une troisième. Ces dents n’étaient pas décoratives. Prévisible, sans doute, mais terriblement gênant. Manjiro accéléra, ses mouvements plus rapides fendant l’eau en gerbes nerveuses. Pourtant, il le savait : si ces poissons étaient aussi nombreux qu’ils semblaient l’être… la traversée pourrait bien tourner à son désavantage. La remarque sur l'énergie de la Kaguya n'était sûrement pas anodine... Le monde d'aujourd'hui l'obligeait à davantage l'économiser... Couteau entre les dents, il tentait de tuer les puants venant de face... Il en tuait mais pas suffisamment...