Le bruit du sang et du feu formait une étrange musique, un fond sonore que Mai connaissait bien. Le rythme du chaos, le tempo des cœurs affolés, la dissonance des cris humains. Elle l’écoutait, en silence, perchée sur le toit du wagon comme une ombre impassible.
Les rebelles bougeaient. Ils cherchaient à localiser l’origine des tirs, à réagir, à survivre. Ils ne savaient pas qu’ils étaient déjà morts. Ils mettaient simplement plus de temps à l’admettre.
Elle se redressa lentement, ses yeux artificiels adaptant leur spectre à travers la fumée et les particules en suspension. L’un d’eux avait crié. Un ordre. Elle l’avait reconnu : Seishiro. Encore en vie. Elle rectifia sa posture. Une flèche l’avait touché à l’épaule, une autre à la jambe. La troisième avait manqué de peu. Mauvais calcul ? Non. Elle l’avait laissé vivre. Pour voir ce qu’il ferait. Pour le pousser à réagir. Pour le briser dans l’action, pas dans le silence.
Elle se déplaça d’un pas fluide vers l’arrière du wagon, posant une main gantée sur le rebord brûlant sans ciller. Le métal crissa sous ses bottes, protestant faiblement. Elle sauta. L’atterrissage fut silencieux. L’armure énergétique amortissait le choc, comme si la gravité elle-même hésitait à l’atteindre. Elle se redressa, se fondant entre les ombres du train déraillé. Un souffle. Une expiration lente. Elle était en mouvement. Elle ne devait jamais rester en place.
Le daikyū, grand arc noir comme la nuit la plus ancienne, reposait contre son épaule. Il brillait faiblement, non de lumière, mais d’une présence sombre. Elle prit une autre flèche. Bois noir, pointe renforcée, stabilisée par un flux de chakra ténu, presque imperceptible. Elle visa. Un rebelle, accroupi près d’un amas de sacs éventrés, cherchait une position de tir. Il avait les mains tremblantes. Elle relâcha la corde : le sifflement fut bref et le corps s’affaissa, sans un cri.
Elle ne restait jamais plus de trois tirs au même endroit. Deux suffisaient. Trois, c’était pour les morts ou les inconscients. Elle contourna les wagons, passant entre les tôles froissées, son pas effacé par le tumulte ambiant. Les rebelles avaient l’œil rivé vers les hauteurs d’où elle avait tiré. Parfait. Qu’ils regardent ailleurs.
Une voix s’éleva. « Là-haut ! Regarde ! » Elle ne vit que le doigt tendu. Elle tira avant même que son regard ne remonte au visage. L’homme s’écroula, une flèche plantée net entre les sourcils. Une frappe rapide. Son cœur battait avec lenteur, calme. Elle ne ressentait pas la peur, ni la joie. Juste une concentration parfaite. Chaque flèche était un choix. Un verdict. Une punition.
Elle trouva un nouvel angle, plus bas, partiellement couvert par un wagon couché de côté et perchée sur un autre. Une ouverture dans la tôle lui donnait vue sur les lignes arrière des rebelles. Deux transportaient un blessé, un autre, apparemment de rang, donnait des ordres, les gestes amples, trop exposés. Elle respira profondément.
Une flèche pour les priver d’un soutien. Une flèche pour faire douter les survivants. Une flèche pour la peur. Elle décocha la première. Le porteur arrière s’effondra, le blessé glissa à genoux. La deuxième frappa l’homme aux gestes amples dans la clavicule. Pas mortel, mais suffisant pour faire hurler. La troisième fut envoyée au-dessus, sifflant au ras des têtes. Elle frappa une caisse vide derrière eux. Le message était clair :
« Je vous vois. Je choisis qui vit encore. »
Déjà, elle se repositionnait. Elle glissa entre les restes de l’ancien wagon cuisine, dont les parois éventrées dégageaient encore une chaleur résiduelle. L’intérieur noirci était criblé d’éclats métalliques et de restes fondus, mais elle s’y faufila sans hésiter. Elle connaissait ce type de décor. Le chaos l’avait élevée. La fumée, la suie et l’odeur de graisse brûlée ne l’empêchaient pas de respirer. Le métal crissait doucement sous ses pas maîtrisés, absorbés par la structure tordue du wagon. Son arc dans le dos, elle avançait avec la patience d’un prédateur. L’ouverture était là, à quelques mètres. Une ligne de vue directe vers les lignes ennemies, à l’abri de la majorité des regards.
Mais elle ne fut pas la seule à anticiper. Un léger sifflement. Un son trop fin pour la majorité des soldats. Mais pas pour elle. Elle pivota, immédiatement. Trop tard. Un shuriken fendit l’air et entailla sa hanche droite. Le choc ne fut pas brutal, mais précis. Une lame affûtée, bien lancée. Assez pour couper. Pour brûler. Pour lui rappeler que l’erreur existe encore.
Sa respiration resta calme, mais son regard, derrière les lentilles bleues, se fixa aussitôt dans la direction d’où était venu le tir. Il y avait là quelqu’un de compétent, ou du moins, pas aveugle à ses mouvements. Ce n’était pas de la chance. C’était calculé. Elle se plaqua contre la paroi intérieure du wagon, son flanc lui envoyant une douleur sourde à chaque inspiration. Le sang s’infiltrait lentement sous la couche protectrice de son armure, trop superficiel pour la handicaper, mais suffisant pour l’avertir : elle n’était plus invisible.
Elle saisit une flèche, mais ne tira pas. Pas encore.