Pas de fumée sans feu

Le quartier du plaisir de Kumo… Sans doute l’un des lieux les plus décadents du Yuukan, bien que les choses commençaient à changer ces derniers temps. Mais je n’accordais que peu d’importance à ce lieu, c’était bien loin de mes habitudes de m’y rendre à vrai dire. Excepté en compagnie d’Aïko probablement, elle parvenait toujours à m’embarquer dans ses coups fourrés. Mais aujourd’hui je n’y venais pas par besoin personnel, mais bien parce que j’étais supposée y retrouver quelqu’un. Une autre Hattori, qui, semble t’il, possède un bordel dans ces quartiers. Je m’imaginais déjà le genre de personnes auxquels j’allais avoir à faire, et dire que j’allais sans doute devoir passer toute une mission en sa compagnie… espérons que je me trompe sur elle.

Après quelques minutes de recherches, je finis par trouver le bon endroit. J’ignore les regards des pervers des rues environnantes qui se portent sur ma personne. « Ne rêvez pas trop mes amis, je ne travaille pas ici. » me dis-je en les regardant d’un air méprisant. J’entre finalement et très vite quelqu’un homme vient m’accueillir à peine ai-je posé un pied à l’intérieur.



De la lèche… évidemment, le client est roi dans ce genre d’endroit pas vrai ? Mais je n’avais pas de temps à perdre, plus vite je repartirais d’ici, mieux ce sera. »





Je le regardais s’en aller sans dire un mot de plus. Je posais alors mon dos sur l’un des murs et j’observais autour de moi en attendant l’arrivée de la Hattori. Ce genre d’endroit me dégoûtait au plus haut point, comment pouvait-on à ce point se plonger dans la luxure ? Et dire qu’il s’agit de mes congénères qui gèrent ce genre de lieu… navrant.

Miyu sirotait un cocktail, allongée sur une méridienne de sa chambre, à l'étage. Elle aimait cet endroit, mais qu'est-ce qu'elle s'y ennuyait... Quand elle était plus jeune, elle passait ses journées avec ses cousins, à jouer des mauvais tours, se cacher dans les tentures ou apprendre la musique. Maintenant qu'elle était adulte, tout ce qui occupait ses journées étaient la musique, et la gestion d'Ahen, qui ne prenait soi-disant passant pas temps de temps que ça.



Sans même se redresser, elle répondit, quelque peu agacée.





Ah oui ? La Hattori jeta un œil sur l'ordre de mission qui gisait sur la petite table près d'elle. Mince, c'était bien aujourd'hui. Que le temps passe vite quand on s'ennuie à mourir...
Miyu prit ses affaires et descendit dans le hall. Une jeune femme, brune, avec les yeux jaunes de leur clan l'attendait, appuyée contre un mur. Elle était jolie, et un air froid était collé sur son si beau visage. En somme, elle possédait tous les attributs appréciés chez une Hattori. Typique de ceux qui vivaient dans les beaux quartiers.

Cependant, Miyu ne laissa rien voir de son analyse, et garda un visage parfaitement indifférent, comme à son habitude.

À peine cinq minutes plus tard, la personne étant venue m’accueillir revient, accompagnée cette fois. Une autre Hattori légèrement plus âgée que moi à première vue, son regard et l’expression de son visage me laissaient aisément croire qu’elle était du même acabit que la plupart des membres de mon clan, et que moi même d’une certaine manière. Une chose était sûre, l’ambiance n’allait pas être des plus joyeuses. Mais qu’importe, je ne suis pas là pour faire ami-ami avec elle, nous ne sommes assignés que sur une mission commune, pour une raison qui m’échappe d’ailleurs. Habituellement je comptais sur Aïko pour m’accompagner, ou simplement Itsuke. Cette fois, l’on ne m’avait pas laissé le choix, mais je n’étais du genre à discuter les ordres. J’acquiesce simplement la tête lorsqu’elle sonne l’heure du départ. Nous parcourons quelques rues dans le silence le plus total, je viens finalement briser celui-ci avec une simple et banale information concernant notre mission.



Nous étions supposées enquêter sur deux hommes étant soupçonnés d’avoir pillés le caveau familiale d’Hattori vivant à quelques kilomètres de Kumo. Une effraction puis des tombes fracturées. Le vieux couple vivant là-bas ne pouvant s’en occuper soit même, ils avaient fait appel à Kumo. Ce n’était pas le genre de mission que j’avais l’habitude d’effectuer, mais soit, ma partenaire avait sans doute plus d’expérience que moi. Il nous restait deux petites minutes de marche avant d’arriver aux portes pour récupérer nos affaires, j’en profitais pour me présenter.

Par fierté, hostilité ou nature taciturne, aucune des deux ne parla pendant leur marche. Miyu avait pour habitude de ne jamais engager les conversations, et elle se contenta de jauger la Hattori qui l'accompagnait. Elle ressemblait à toutes les pimbêches du clan habituelles, se dit-elle. Malgré ça, elle prit sur elle pour ne pas la juger trop vite. Après tout, elle allait s'amuser, alors pourquoi gâcher ce petit plaisir ?



Des tombes vandalisées à l'extérieur de Kumo, rien de bien inquiétant. Les gens dans les campagnes devaient s'ennuyer encore plus qu'elle... Quoiqu'il en soit, ceux qui avaient fracturés le tombeau d'Hattori ne devaient pas rester impunis.
Miyu observa le sérieux de sa camarade avec un sourire légèrement moqueur. Elle ramassa les affaires qu'on leur avait laissées. Son équipière du jour en profita pour démarrer un semblant de conversation. A moins que ce ne soit par simple politesse, qui sait ?



Les deux Hattori quittèrent Kumo sans beaucoup plus de paroles échangées. Elles marchèrent un moment, assez pour s'éloigner du village. Miyu prit la direction indiquée sur leur ordre de mission. Ce n'était l'affaire que de kilomètres. Cela dit, si aucune des deux ne se décidaient à adresser la parole à l'autre, ce serait terriblement fatigant.
Il fallait bien qu'elle jauge cette Shina un peu mieux...

Bordel, club libertin ou échangiste, ou que sais-je encore, c’était la même chose à mes yeux. Des hommes et des femmes ayant perdu tout respect d’eux même, allant s’adonner à la luxure avec à peu près n’importe qui entrant dans ce lieu… Peut-être étais-je trop prude pour comprendre, mais ce genre d’endroit ne me faisait rien ressentir d’autre que du dégoût. Une bonne partie du trajet se fit alors dans le silence. Ni l’une ni l’autre ne semblions réellement dérangée par l’ambiance que certains auraient jugés pesantes. Quoique, la Hattori décida subitement de briser la glace.



Je pensais donc que c’était le cas de ma camarade du jour. Sans quoi il allait être compliqué de suivre ces profanateurs à la trace. Tant pis, j’étais payée pour le faire de toute façon, il fallait bien essayer.



Je ne voyais pas en quoi mes qualités était requise pour cette mission. J’avais la ferme impression de juste avoir servie d’élément de rechange. Enfin… je n’allais pas commencer à discuter les ordres.

Miyu ne tiqua même pas lorsque Shina appela Ahen "un bordel". Elle avait l'habitude que les gens fermés d'esprit ne comprennent pas la nuance... cela dit, ce n'était pas un bordel. Elle se contenta d'un faux sourire froid avant de lui répondre.



C'était bien ce qu'elle pensait... les gens des beaux quartiers n'étaient que vanité et insignifiance. Elle-même était une véritable harpie méprisante, mais jamais elle n'avait été si intolérante. Enfin, peut-être qu'être née dedans avait aidé...

"Et diplomate en plus..."

La Hattori cacha un sourire moqueur.



Pauvre petite, elle paraissait presque déçue de ne pas être avec son amie. Miyu ne s'en émut pas, mais se fit une réflexion interne sur l'infantilisation des riches. Vraiment, quel manque de professionnalisme... à croire que les filles comme elle n'étaient bonnes qu'à être jolies, quel dommage... Innocemment, elle répondit à sa question quand même.



En reprenant son air naturellement hautain, elle se contenta d'ajouter :

Eh bien… C’est que madame est d’une humeur joviale. J’avais presque l’impression de me voir dans un miroir. Ce n’est pas que je me plaignais de sa présence, j’avais toutefois des habitudes que je n’appréciais pas changer. Cela fonctionnait parfaitement, pourquoi changer une équipe qui gagne après tout ? Tant pis, je n’ai pas d’autre choix que de m’y faire d’ailleurs. Si je réussis, car visiblement les gens ne se bousculaient pas pour partir en mission en sa compagnie, chose qu’elle ne semblait pas comprendre apparemment.



Répondis-je avec un sourire moqueur à mon tour. On m’avait souvent dit que j’étais trop froide, parfois ça allait même jusqu’à me traiter d’antipathique. C’est surtout qu’en vérité… les problèmes des Kumojins n’étaient pas réellement des problèmes. Je pense étonnamment que cette femme et moi nous ressemblons sur ce point, pas le temps pour les choses futiles. Mais je me garde de lui faire part de mon constat, je la voyais déjà me regarder avec son air méprisant et un « si tu le dis. » en guise de répondre, j’allais m’en passer volontiers.



Oui il y avait beaucoup de dédain dans ma phrase. Les gens étaient tous si enclins à la violence et tellement facilement. L’on pouvait parler des Kaguya, mais la soif de sang de certains Hattori était toute aussi stupide que la leur. Enfin bref, ce n’est pas le moment de m’égarer dans mes pensées. Au moins nous étions fixées sur le rôle de chacun. Ou peut-être l’avais-je jugée trop vite ? Non, elle avait la tête de l’emploi en vérité. C’est le problème quand on un visage de cette forme, l’on passe aisément pour quelqu’un d’agressif.

Miyu ne s'embarrassait pas de politesse, dire bonjour était déjà un gros effort pour elle. Les gens avaient le chic pour l'agacer, elle n'y pouvait rien. Dans ce village, si l'on était pas hypocrite, on était stupide, et Miyu abhorrait les idiots. Elle préférait encore les fourbes.
Visiblement, Shina ne faisait pas partie de la première catégorie, puisqu'elle osait sans honte lui exposer ses a priori à son sujet. Peut-être bien qu'elle était sotte.

La Hattori la regarda en le prenant de haut malgré l'écart de taille en faveur de la plus jeune.



Miyu n'avait jamais tué personne, pour la principale raison de la fainéantise. Autant d'air remué pour si peu de résultats... Même si l'agacer était facile, on ne l'avait encore jamais énervée au point de vouloir tuer. Elle avait des moyens de persuasion bien plus convaincants, mais elle se garda bien d'en dire plus.

Désagréable ? C’était peu dire. Au final, était-ce bien différent de la majorité des Kumojins ? Et notamment des Hattori. Nous n’étions pas connus pour notre bonté de cœur, et la vie à Kumo n’avait rien de facile, bien que j’étais mal placée pour aborder ce sujet. Mais au moins, peut-être n’était pas aussi sanguinaire que je le pensais, c’était déjà ça de pris…



J’avais un sérieux doute quant à son éventuel réaction si quelqu’un venait à la provoquer, mais allons-bon, je vais la croire puisqu’elle prétend être « civilisée ». Amusant pour la propriétaire d’un lieu où les nôtres se comportent comme des animaux. Elle souhaita ensuite en savoir plus à mon sujet, n’étais-je qu’une vulgaire diplomate ? Bien évidemment que non.



Pour le reste, je n’étais qu’une gosse de riche à qui tout avait toujours été servi sur un plateau. Bien que ces dix dernières années eurent été bien différentes que le reste de ma vie, je n’en restais pas moins une noble pour qui ce genre de tâche paraissait bien insignifiante.

Ce qu'elle entendit confirma un peu plus l'idée que Shina ne se rangeait pas dans ses cases habituelles. On ne pouvait pas vraiment dire qu'elle était hypocrite, au vu de la situation limpide qu'elles avaient. Et même si aux premiers abords Miyu l'avait cru, elle n'était pas aussi bête qu'elle n'y paraissait. Rien ne disait qu'elles s'entendraient bien pour autant, loin de là. Mais ça faisait déjà d'elle quelqu'un digne d'être prise en considération.



Les deux Hattori marchèrent encore un bon bout de temps à travers la campagne environnante de Kumo. Le paysage était montagneux, et ne changeait pas beaucoup au fur et à mesure qu'elles progressaient. Tout ou presque était silencieux autour d'elle, tout comme leurs rares échanges. D'autres auraient pu juger de l'ambiance pesante ainsi créée, mais Miyu n'était pas mécontente d'avoir un peu de calme. Ahen était toujours ou presque bourdonnant de monde et de bruits, tout comme Kumo.

En plus d’être un poil désagréable, elle n’était pas non plus la plus travailleuse visiblement. La mission ne semblait l’importer encore moins que je ne l’imaginais. En gros, j’allais devoir tout faire pendant qu’elle… elle… glandait. Typiquement. Elle n’était pas franchement capable de faire la conversation non plus… Non, envoyez moi toute seule la prochaine fois ! Je garde malgré tout mon calme. La discipline avant tout, même si la mission m’intéressait peu moi aussi, j’avais au moins l’objectif de la réussir.



Sympathique comme conversation, vraiment. Aucune animosité entre nous, mais je commençais à douter que nous réussissions à réellement nous entendre. Il faut dire que ni elle ni moi n’étions très doué pour la chose apparemment. Nous approchions alors du lieu où les méfaits avaient été commis. Un domaine, visiblement assez vieux si l’on en croit l’architecture. Je ne m’embête pas pour passer l’immense portail grinçant qui donnait sur l’intérieur de la propriété. Très vite je nous dirige vers la porte de la demeure, je frappe pour que nous puissions prévenir les propriétaires de notre arrivée. Mais après quelques minutes… aucune réponse.



Je reculais de quelques pas pour jeter un coup d’œil sur l’ensemble de la propriété, le caveau devait sûrement se trouver à l’arrière. Faisant signe à mon équipière – d’enfer – de me suivre, je me diriges alors tout de suite vers cette partie de la propriété… Très vite mon intuition se montre juste, un caveau descendant sous terre se trouvait juste devant nous. Il était ouvert, et l’ambiance n’avait franchement rien de très gaï.

Très bien, si elle le prenait comme ça... Shina n'avait pas pleinement compris le message, mais peu importe, elle comprendrait bien en temps voulu.
Elles arrivaient sur le domaine, désert à première vue. Sans même se concerter, les deux Hattori entrèrent par le portail, laissé ouvert. Pour des gens qui avaient contacté Kumo, ils n'avaient pas l'air de les attendre plus que ça. Shina prit les devants et alla toquer à la porte. Après quelques secondes d'un silence de mort, elles en conclurent que les propriétaires n'étaient pas là. Miyu ne commenta pas et se contenta d'hausser un sourcil excédé.

Elles trouvèrent le caveau par elles-mêmes, derrière la maison. Les escaliers peu entretenus descendaient jusque dans l'obscurité du souterrain, grand ouvert, comme le portail. Si l'atmosphère avait été glaciale jusqu'ici, elle était devenue polaire.



Comme elle le lui suggérait, Miyu passa devant. Son équipière ne pouvait pas le deviner, mais elle avait l'habitude des grottes de la montagne de Kumo, alors les souterrains sinistres, ça la connaissait. Elle descendit encore et trouva un sol plat. Il y faisait aussi noir que dans un four, mais ce n'était pas plus mal. Au moins, elles n'avaient pas à supporter la vue de la saleté.
Miyu sortit un briquet, et dans un claquement métallique éclaira autour d'elles.
La pièce n'était pas bien grande, mais elle accueillait déjà une vingtaine de morts, alignés dans des tombeaux de pierre poussiéreux. On pouvait remarquer que la majorité était fracturée et renversée hors de leur niche dans le mur. Miyu passa son doigt sur le plus proche et y imprima une profonde trace dans la poussière.