Le silence s’installa un instant entre elles, tendu mais pas hostile, chargé de tout ce que Kyoko ne disait pas à voix haute. Kohana resta là, assise à côté de la Kitto, son sourire joueur s’effaçant peu à peu, remplacé par quelque chose de plus rare, plus vrai. Elle redressa son buste lentement, les bras croisés contre sa poitrine, le regard fuyant d’abord, puis résolu. C’était bien là toute la magie ou la malédiction de Kyoko : elle ne forçait jamais les réponses, mais elles venaient toujours, comme appelées par le vide de son regard calme. Et cette fois encore, Kohana n’y échappa pas.
« Franche, hein ? Tu sais que c’est dangereux de me demander ça. »
Elle tenta un sourire narquois, mais celui-ci n’atteignit pas ses yeux. Elle détourna brièvement la tête, comme si elle cherchait les mots dans les recoins de la pièce. Puis elle reprit, plus doucement.
« Ce n’est pas pour l’Empire, Kyoko. Tu sais très bien que je n’en ai rien à foutre de leurs règles, de leur trône, ou de leur vision du monde. Une “vie tranquille”, je pourrais l’avoir n’importe où. Je pourrais même l’acheter, si je le voulais... »
Elle releva enfin les yeux vers Kyoko, cette fois sans détourner le regard. Une intensité particulière s’y était installée, comme une mer agitée sous un ciel trop calme.
Elle eut un rire sans joie, sec et bref, presque amer.
« Kazuko est un fantôme qui continue de me hanter. Soit disant, qu'elle veut m'aider. Mais tout ce que j'ai pu ressentir lors de mon attentat contre elle, c’est qu’elle m’a laissée derrière. Qu’elle m’a effacée de son monde. Elle brille, elle guide, elle inspire… et moi, je suis quoi, hein ? Sa petite sœur rebelle qui n’a jamais su marcher droit ? À ses yeux, je suis restée une erreur. Une gêne... »
Elle s’interrompit, laissant le silence remplir l’espace à nouveau, cette fois plus lourd, plus personnel. Son visage se durcit, une ombre passant dans son regard.
« Je finirai par me débarrasser d’elle. Pas parce qu’elle me menace. Mais parce que je ne peux plus supporter cette ombre qui me suit partout. Elle prétend m’aimer, mais tout ce qu’elle m’a appris, c’est ce que ça fait d’être seule. »
Elle baissa un instant les yeux. Puis, dans un mouvement presque imperceptible, son visage s’adoucit. Elle fit un sourire léger à Kyoko.
« Toi… tu ne m’as pas jugée. Tu ne m’as pas prise pour ce que j’aurais dû être. Tu m’as tendu la main, quand même moi je n’en valais pas la peine. T’étais là, même quand tu faisais semblant de ne pas l’être. Alors peu importe tes projets, peu importe jusqu’où tu veux aller avec ton délire de chakra, de réformes, ou de guerre froide… »
« Je te suivrai, Kyoko-sama. Parce que t’es la seule qui m’a vue, vraiment. Et que même si tu t’en rends pas compte, on se ressemble bien plus que tu ne veux l’admettre. »
Un court silence s’ensuivit, puis Kohana leva les yeux au ciel en ricanant, comme pour alléger la tension de ses propres paroles.
« Alors ne t’avise plus jamais de me demander si je suis ici pour Kazuko. T’as tout mon soutien, même quand tu fais ta reine des glaces. Et crois-moi… c’est pas près de changer. »
Elle ponctua sa déclaration d’un clin d’œil espiègle, mais cette fois, son jeu n’avait plus rien de superficiel. Elle était sérieuse. Kyoko n’eut même pas le temps de soupirer que Kohana, avec tout le naturel du monde, s’installa comme si elle était chez elle, posant sa tête sur ses genoux avec une nonchalance étudiée. Ce geste aurait pu passer pour affectueux, s’il n’était pas teinté de ce besoin presque instinctif de désarçonner. Un léger sourire effleura les lèvres de la Miwaku, bien consciente de l’effet de ses actions. Elle croisa les bras derrière sa tête, le regard fixé vers le ciel, puis tourna lentement les yeux vers Kyoko, un sourcil levé.
« Sérieusement, des recrues ? Tu veux vraiment que je gère ça ? J’espère au moins qu’ils sont pas trop fragiles… j’ai pas envie de me traîner un procès si l’un d’eux se casse un bras en pleurant pour sa maman. »
Son ton était léger, presque moqueur, mais ses doigts pianotaient distraitement dans ses propres cheveux, trahissant une certaine agitation. Elle n’aimait pas qu’on lui impose ce genre de responsabilité sans réelle explication. Et elle sentait bien qu’il y avait plus derrière cette assignation.