Destins croisés

C'était l'hiver, et même si Owari en avait vécu de plus froids, le vent lui glaçait les joues. Elle s'était portée volontaire pour apporter les provisions hebdomadaires à Koya, afin que Chiemi puisse se reposer un peu. Elle connaissait un peu la ville, pour s'y être rendue quelquefois, mais cela faisait longtemps qu'elle n'était pas sortie seule. La Kenketsu préférait rester auprès de son amie pour l'aider, et ses années à errer sans but l'avait épuisé de la solitude. Pourtant, Owari était soulagée de pouvoir prendre l'air.
A cette période, le laboratoire était en effervescence. Les gens avaient froid, les gens avaient faim, et le refuge de Chiemi était parfois leur seul espoir de passer la saison froide.

De gros sacs de provisions chargés sur le dos, elle s'occupait d'en distribuer à qui en avait besoin. C'était le début de soirée, mais malgré la lumière déclinante, elle gardait son capuchon tombé sur son front. De cette manière, le vêtement jetait une ombre sur ses yeux rouges.



Owari attrapa un des paquets et le tendit à l'homme recroquevillé dans des guenilles sur le sol.



Elle repartait vite, pour éviter les questions, les regards inquisiteurs sous sa capuche et dans le même temps les soupçons sur sa condition.
Owari distribua encore une dizaine de paquets de provisions dans tout le village. Et soudain, elle entendit des voix qui la mirent sur ses gardes. Son ouïe n'était pas aussi bonne que celle de Chiemi, mais son instinct l'avait rarement trompé jusqu'ici. En observant mieux, elle vit un groupe d'individus aux regards mauvais un peu plus haut dans la rue.

"Des Rihatsu... Je ferais mieux de déguerpir."

Et non toujours pas. Avais-tu réussie à te perdre dans Koya ? Absolument. Pour ta défense, tu étais habituellement accompagnée, mais pour une fois, l’on avait – étonnamment – décidé de te faire confiance pour rentrer seule. Mauvaise idée finalement, cela doit faire une vingtaine de minute que tu tournes en rond déjà. C’est encore pire que Konoha ici, tout se ressemble ! Pire encore, tu crois bien être arrivé dans l’un des pires quartiers possible. Entre les pauvres faisant la manche et ceux aux regards un peu trop insistants… non, l’ambiance n’était décidément pas agréable. Bon, bon. Il ne te restait plus qu’à trouver quelqu’un pour t’aider, mais hors de question de parler à toutes ces personnes louches. Non, tu avais été prévenue au sujet des gens qui vivent ici, et ce n’était pas le bon moment de faire du grabuge. C’est au même instant que tu aperçu cette grande silhouette donner quelque chose à un pauvre homme. Tu t’approchais, curieuse, tu remarquas alors que cet homme venait de recevoir un peu de nourriture. Tu tournas alors la tête dans la direction de cet inconnu étrangement bienveillant. « Peut-être pourra t’il m’aiguiller ? » te dis-tu alors. Tu t’empresses de le rejoindre, et arrivant dans son dos tu commences à t’exprimer tout en l’attrapant par la manche.



Tu sentais les regards alentours qui se portaient sur vous deux. Tu lâchas alors la manche de l’inconnu qui se retournait vers toi. La capuche recouvrait son visage dont tu ne distinguais que très peu de détails. Après une petite seconde à l’observer avec ton regard intrigué, tu poursuis :

Dans son dos, Owari sentait qu'on la suivait. Elle avait l'habitude : que ce soit des mendiants, des gens aux intentions douteuses, ou d'autres simplement perdus dans cette vie, le regard dans le vague. Cependant, elle ne se retourna pas.

Celui - qui s'avéra être celle - qui la suivait l'attrapa par la manche, et la héla pour lui demander de l'aide. Après tout, n'était-elle pas là pour ça ? Chiemi se serait arrêtée, et lui aurait rendu service avec joie. Mais son appel n'était pas passé inaperçu. Owari se tourna vers elle, et ignorant sa question pour l'instant, lui chuchota :



Elle l'entraîna vers un coin plus tranquille dans une ruelle alentour. Après quelques regards dans les passages adjacents, elle prit la parole à haute voix, son visage toujours masqué.



La Kenketsu prit le temps de la détailler. Brune, avec de grands yeux doux. Elle n'était pas habillée comme les gens d'ici, ne parlait pas comme eux, et n'agissait en rien comme quelqu'un de Koya.

"Toi, tu n'es pas d'ici..."

Elle aurait voulu lui poser la question, mais elle se ravisa. A sa place, elle aurait détesté une telle curiosité.



Owari la jaugea encore une fois. Mon dieu, elle paraissait si jeune...

:

Bien, ce début de conversation n’était pas inquiétant du tout. En général, les gens commençaient par un bonjour – bonsoir en l’occurrence –, mais non, tu la laissais t’entraîner dans une ruelle adjacente. Bien évidemment tu n’étais pas méfiante pour un sou ! Comment cette jeune fille distribuant de la nourriture pourrait-elle te faire du mal après tout ? Elle était sans doute parfaitement inoffensive ! Elle te conseillait d’ailleurs de ne pas te promener seule dans le coin, une mauvaise personne n’aurait jamais dit ça, si ?



Oui bon, guide sonnait mieux que « garde veillant à ce que je ne cause pas de problème puisque je viens d’une nation avec laquelle le climat est plutôt tendu. » Si c’était une habitante, et que les dires de Tsuyoshi étaient vrais, savoir que tu étais en fait une Konohajin ne serait pas vu d’un très bon œil. Tu choisis donc de passer sur ce détail. Alors qu’elle t’expliquait le chemin, tu croisas réellement son regard pour la première fois. Étonnée par ce que tu venais de voir, tu restas le visage fixe sur elle. Elle devait penser que tu l’écoutais, mais pas du tout en vérité. Et, idiote que tu es, lorsqu’elle te proposa de t’accompagner… tu refusas.



Après une brève salutation, tu te retournes avant de partir en courant, puis subitement tu t’arrêtes avant de revenir vers elle tout aussi vite…



Disais-tu en te passant la main à l’arrière de la tête, l’air gênée. Oui bon, tu n’avais pas très bien écouté, mais c’était de la faute de ces yeux ! Comment pouvaient-ils avoir une couleur pareille ? Était-ce un dôjutsu comme le tiens ? Peut-être que si tu avais été plus attentive durant ta vie, tu aurais pu le deviner, mais non, à l’instant présent tu n’avais qu’une envie : lui poser la question. Mais tu t’abstenais, sans doute par politesse ou parce que tu ne savais pas comment demander sans paraître grossière. Oui, il te restait un peu de manière…

Owari la regarda s'éloigner. Elle n'était pas tellement rassurée de la laisser se balader comme ça, mais elle avait l'air d'être une grande fille. La Kenketsu haussa les épaules et s'apprêta à repartir. Il commençait à faire tard, Chiemi allait avoir besoin d'elle pour débriefer la journée.



Elle fut un peu troublée du regard curieux qu'elle lui adressait depuis quelques secondes. Avait-elle remarqué ses yeux ? Savait-elle même ce qu'ils signifiaient ? Elle ne serait pas étonnée que ce ne soit pas le cas, puisqu'elle était assez innocente pour avoir écouté les conseils d'une inconnue. Bah, tout ce qui importait, c'est qu'elle ne le répète pas trop autour d'elle.

La jeune fille la rappela. Owari était à peine étonnée. Il était clair qu'elle ne l'avait pas du tout écouté. Elle avait l'air sincèrement désolée, cela dit. La vampire eut un sourire bienveillant.



Owari prit la direction du centre-ville, sous les regards méfiants des passants. Une jeune fille et une ombre encapuchonnée comme elle, ce n'était pas un duo commun. Elles marchèrent une poignée de minutes en silence. Elle-même était mal à l'aise qu'on lui pose des questions... Mais après tout, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu de conversations légères.



On n'était jamais assez prudent...

Il y avait de quoi l’être, mais il ne valait mieux pas que tu commences à t’attarder sur le sujet. C’était déjà bien aimable de t’accompagner, tu devais passer pour une pauvre fille perdue, ce que tu étais en quelque sorte… Quelques minutes de marche plus tard, la jeune femme sort finalement de son silence pour te demander ton nom. Tu lui fais un large sourire avant de répondre :



Ton large sourire disparu peu à peu lorsqu’elle commença sa phrase suivante. Pouvais-tu seulement lui dire que tu venais de Konoha ? C’était risqué, peut-être qu’elle aussi, elle en voulait au village pour une quelconque raison. Mais tu n’appréciais pas non plus mentir, tu préférais donc répondre vaguement cette fois-ci.



Elle semblait quelque peu curieuse à ton sujet, qui ne le serait pas en vérité ? Ton accoutrement était très différent des autres personnes d’ici. Ta bonne humeur était aussi quelque chose d’assez rare dans le coin. Même si les premiers temps avaient été difficiles, tu commençais à t’adapter à la vie ici. Les Rihatsu avec lesquels tu vivais dans ta résidence surveillée te voyait de moins en moins comme une ennemie, ou une prisonnière, tu développais même une plutôt bonne relation avec eux. Bon, tu avais tendance à les exaspérer au plus haut point avec tes caprices, mais qui te ferais changer cette bonne habitude ?

Owari remarqua l'omission de son lieu d'origine exacte, mais ne releva pas. En tout cas, si elle n'était pas habituée à la température, ce n'était pas à côté, c'est sûr. Elle l'observa à la dérobée. Kyoko dénotait tellement avec la population de Koya... Elle semblait complètement en dehors de cette réalité.
Mais ce n'était pas de sa responsabilité de s'occuper de son sort. Elle ne l'accompagnait que pour un court chemin. Deux lignes allant dans deux directions différentes ne se croisent qu'en un point...

A sa question, elle ne répondit pas tout d'abord. Qu'est-ce qu'elle était censée lui dire ? Si innocente qu'elle ne connaissait pas ceux de sa race... Se rendrait-elle seulement compte de ce que signifierait sa réponse ?



Owari soupira... Après tout, ne valait-il pas mieux qu'elle apprenne l'existence des Kenketsu de sa bouche, plutôt que de celle d'un des tarés qui courait le Yuukan ?



Elle aurait pu y aller plus doucement, mais à vrai dire, elle ne savait pas trop comment introduire une vérité pareille...



Très franchement, à sa place elle serait déjà partie en courant. Mais bon, tant qu'elle y était... Tout en s'inclinant légèrement, elle lui dit :

Ce fut ta seule réaction devant sa « révélation ». Une vampire donc ? Tu en avais déjà entendu parler, mais comme beaucoup de choses, tu ne pensais qu’à de simples rumeurs. Une personne normale aurait sans doute été effrayée, mais étonnamment, cette jeune femme t’inspirait confiance. Bien que l’idée de te faire sucer le sang ne faisait pas partis de tes plans, tu ne ressentais pas ce besoin de t’enfuir à toute jambe. Ironiquement, c’était la vampire qui semblait la plus inquiète parmi vous deux. Cela ne devait pas être facile de faire partis d’un clan aussi craint que les vampires. Souriante comme jamais, tu posais alors ta main sur son épaule.



Elle serait sans doute légèrement surprise de ta réaction. Comme quoi, contrairement à ce que l’on te disait, tu avais bien plus hérité des traditions Kitto que l’on ne souhaitait bien le croire. Vous repreniez alors tranquillement votre chemin à travers les ruelles sombres de Koya, tu t’y promenais déjà sereinement, mais maintenant que tu sais être en présence d’une vampire… tu pensais encore moins aux risques. Sur le chemin, tu ne manquas pas de montrer une nouvelle fois ta curiosité à son égard, notamment vis à vis de ce qu’elle t’avait dit juste avant.



Certains auraient fuient, d’autre se seraient contentés de finir la route tranquillement. Mais non ! Tu étais réellement intéressée à l’idée d’en apprendre plus. Cela te rappelait ces longues heures que tu passais en compagnie de Wattan, avec ses bouquins remplis de mythe et de légendes. Pour la première fois depuis ton départ, tu découvrais quelque chose de réellement nouveau.

Kyoko semblait le prendre bien mieux que prévu. C'était parce qu'elle était jeune, sans doute.



Il y a bien longtemps, elle avait tué... Elle n'en avait aucun souvenir, c'était lors des semaines qui ont suivi sa transformation. Malgré l'envie de savoir ce qu'il s'était réellement passé, elle n'avait jamais eu le courage d'enquêter. Le temps s'était trop écoulé depuis, il ne devait plus rester ni indices ni souvenir des évènements.
Owari secoua un peu la tête pour chasser ces pensées.



"Mensonges..."

Contre toute attente, la jeune fille avait tout un tas de questions. La Kenketsu n'avait pas l'habitude de parler avec des gens bien différents, et les rares qui savaient ce qu'elle était préféraient ne rien savoir. Tacitement, personne ne lui demandait jamais son âge.



La vampire savait que cette annonce surprenait les gens. Qu'elle ait continué de compter ses anniversaires après tant de temps. Qu'elle soit une vieille femme dans un corps d'adolescente. Pourtant, elle ne le cachait pas. Ses paroles tristes et fatalistes étaient celles de quelqu'un qui en avait trop vu.



Pouvait-elle lui en dire plus ?

Quelle superbe comparaison. Kyoko dans toute sa splendeur, un vrai modèle pour la vie en société. Pourquoi ne pas lui demander si elle dort à l’envers les deux jambes suspendues au plafond telle une chauve-souris ? Bon, on ne pouvait pas t’en vouloir. C’était bien la première fois que tu rencontrais autre chose qu’un « humain », alors lorsqu’elle t’annonça son âge…



T’écriais-tu alors que ta voix résonnait à travers les ruelles. Tu posas toi même ta main devant ta bouche en te rendant compte du vacarme que tu venais de créer. Les regards déjà curieux l’étaient d’autant plus. Vous ne tardiez pas à continuer à avancer, il valait mieux changer de coin très vite… pauvre jeune fille, transformée bien trop jeune, transformée tout court d’ailleurs… Mais vivre aussi longtemps, quel chance ! Tu imaginais le nombre de lieu que tu pourrais visiter avec une aussi grande longévité. En revanche la Kenketsu ne semblait pas apprécier ses semblables, compréhensible si les rumeurs à leur sujet étaient avérées. Elle t’indiqua d’ailleurs très aimablement où tu pourrais la trouver en cas de besoin, non décidément, elle était tout le contraire de ce que tu avais lu ou entendu à leur sujet. Légèrement amusée par la situation, tu demandas alors :

Owari ne put s'empêcher de sourire. Jamais elle n'avait entendu pareille comparaison. On ne pouvait pas dire que la jeune fille soit vraiment mal à l'aise avec son clan. On aurait même dit qu'elle trouvait ça presque formidable.



Kyoko ne put se retenir d'exprimer sa surprise à son âge... Owari ne pouvait pas vraiment lui en vouloir, c'était assez hallucinant, même pour elle d'ailleurs. Jamais elle n'aurait pensé tenir aussi longtemps en vie, surtout avec un caractère comme le sien.



Ça ferait un minuscule détour, mais tant pis. Le drôle de duo s'écarta de l'itinéraire de départ pour se fondre dans une autre ruelle encore plus douteuse que la précédente. Elle avait cela dit l'avantage d'être déserte.

Owari prit un peu de temps pour répondre à sa question suivante. Elle l'observa un instant, et se demanda comment répondre sans la gêner.





Dans sa longue vie, la Kenketsu avait eu l'occasion de jauger beaucoup de gens. Naïve, son jugement l'avait trompé à de nombreuses reprises. Mais cette fois, elle était sûre.

Pour toi, à tort, le caractère n’avait rien à voir là-dedans. Tu pensais stupidement juste suivre les enseignements que tu avais reçu. Mais tu ne comprenais pas que ces derniers t’avaient tout simplement forgés. Tu avais quitté Konoha pour de multiples raisons, l’une d’elles était due au fait que tu voyais Konoha comme une entrave, cette impression que tes choix étaient uniquement guidés par ton appartenance, et non par ta propre conscience.



Ajoutais-tu avec un sourire aux lèvres. Tu avais encore des tas de questions à son sujet, mais difficile de choisir laquelle poser en premier, puis, tu n’avais pas envie que la vampire ne commence à s’inquiéter de toutes ces questions.