Je pénètre dans le restaurant. Des voix grondantes et graveleuses se font entendre aux quatre coins du cabaret, ce n'est décidément pas un endroit pour moi me dis-je. Voulant tourner les talons pour repartir, une voix m'interpelle. C'est une voix jeune, douce et accueillante dont on ne peut ignorer la présence. Par prudence, je me retourne avec l'intention de savoir si j'en suis bien la cible.
« Bienvenu à Daichi ramen, tu veux t'installer au comptoir ou à table ? »
Qui est-il ? Pourquoi me parle t-il ?
Il me faut quelques secondes pour enfin comprendre que cet adolescent n'est autre que le serveur de l'établissement.
Je le fixe de mes deux yeux jaunes, essayant de comprendre ce que fait un aussi jeune garçon dans cet endroit de malpropres.
Un esclave ? Non. Sa musculature et sa chevelure m'indique à première vu qu'il est de la famille des Gaikotsu et non de celle des Shinayaka.
Il est plein d'entrain; refuser serait impoli et mon père me le reprocherai. Seulement je n'ai pas un sous mais ce n'est pas les occasions qu'il me manque pour dérober un peu d'argent. En effet, la plupart des gens présents ici ne sont pas en état de sobriété et préfère noyer leur chagrin dans le saké. Je les trouve faible. Ils pustulent et se prolifèrent tels des cafards , et je sais que si j'étais puissant, j'exclurai ses incapables du village.
Mais j'ai besoin d'eux pour pouvoir rester ici et ne pas réaffronter cette foule qui m'attend aux yeux perfides et jugeurs de dehors.
« Je vais m'installer au comptoir...près de cet homme aux cheveux rouge »
Je l'avais remarqué depuis un petit bout de temps, à vrai dire, depuis que j'étais rentré. J'en avais fait ma cible .
Il avait l'air complétement perdu, mourant à petit feu . Son ton livide et ses yeux aux cernes prononcés m'indiquait qu'il n'était pas en état de pouvoir se battre ou de remarquer ma main qui s'était déjà enfoncé dans sa poche droite…
N'avais je pas honte de dépouiller un cadavre ambulant ? N'avais je honte de m'en prendre à un homme qui n'avais même plus la force de subvenir à ses besoins ?
Je sens le frottement des pièces sur mes doigts et cette envie de faire du mal qui remonte en moi tout doucement… J'ai le sentiment d'être un monstre. Moi qui critiquais ces éméchés toute à l'heure je ne vaux pas mieux qu'eux si je vole le pauvre butin d'un inconnu. Mais pourtant, j'ai besoin d'imaginer la tristesse de cet homme en voyant que ses économies ont été dilapider dans mon repas. J'en tremble à l'idée d'y penser..
Un mouvement m'interrompe. Il se lève. Prêt à partir.
« Merci pour la bouffe, mais je n'en prendrai pas finalement, elle est à toi ! régale toi » »
Je retire précipitamment ma main comme si le feu l'avait chatouillé. Il met maintenant trop risqué de le voler une fois debout, j'en suis conscient et je regrette de ne pas être passé à l'acte plutôt. Fichu moral.. Tu me perdra un jour avec toutes tes questions…
Avec un élan de désespoir, je me tourne vers l'homme et lui demande:
« Puis-je avoir l'honneur de la prendre ? »
Mon éloquence est bonne, les mots choisis sont bon mais mon timbre de voix reste fidèle à lui même. Désagréable. Sépulcrale.
Même mes yeux sont porteurs de menace et projette ma haine sur ce pauvre homme inoffensif…