Kazuko était restée silencieuse pendant un moment, observant Soshi sombrer dans la fièvre comme une étoile tombant lentement du ciel. Elle s’était approchée sans un mot, s’agenouillant à ses côtés avec la grâce retenue qui la caractérisait, et avait simplement posé sa main fraîche sur le front brûlant de la plus jeune. Les yeux plissés d’inquiétude, elle resta là, immobile, écoutant ce que le corps de Soshi disait plus clairement que ses mots.
Kazuko ferma les yeux un instant. La lettre… Ce n’était pas une divagation. Ce n’était pas non plus une vision. C’était un souvenir, un morceau de vérité ressurgi à travers la fièvre, comme une main tendue hors du brouillard. Et tout à coup, tout prit sens. Elle n’avait pas oublié. Elles avaient toutes deux négligé le détail.
Et c’était là, au port, ici même à Shinkiri-Jima, que se trouvait le fil d’Ariane laissé par Kagero.
Kazuko leva les yeux vers le vaste port de la capitale du Sud. Shinkiri-Jima s’étendait autour d’elles comme une bête endormie, avec ses bâtisses en pierre sombre, ses quais encombrés, ses voiles claquant dans la brise. Une ville forgée par les conflits, aujourd’hui apaisée, mais jamais vraiment éteinte. Un endroit où les secrets pouvaient se perdre aussi facilement qu’un souffle dans la tempête. Elle releva doucement Soshi, l’aidant à s’adosser correctement contre le mur, la tenant comme une mère tient une enfant blessée.
« Chut, repose-toi. Tu n’as rien à te reprocher. Ce n’est pas une faiblesse d’oublier… surtout quand on t’a appris à survivre plutôt qu’à comprendre. »
Sa voix était un baume, enveloppante et posée. Elle parlait avec la tendresse d’une aînée, mais son regard brillait d'une intelligence calme et déjà tournée vers la suite. Soshi était fiévreuse, malade… mais pas incapable. Elle avait ressenti la vérité, même à travers le voile de l’oubli. Kazuko se releva, arrangeant sa cape pour qu’elle recouvre les épaules tremblantes de la plus jeune. Elle lissa doucement ses cheveux mouillés de sueur.
« Je vais aller chercher cette lettre. Elle doit être ici, tout près… dans ce bâtiment du secteur A34. Ta mère l’a laissée pour toi. »
Elle hésita un instant, cherchant les mots justes en même temps de chercher de quoi réhydrater la Miwaku.
« Tu n’es pas seule dans cette mission, Soshi. Tu n’as pas à tout porter sur tes épaules. Et ton oubli… ce n’est qu’un détour, pas un échec. »
Kazuko approcha la gourde d'eau après avoir sorti un mouchoir en soi pour essuyer les lèvres de Soshi.
« Bois un peu. Sinon tu vas souffrir de déshydratation. »
Kazuko regarda un instant le visage pâle de Soshi, ses traits marqués par la fatigue et la fièvre. La jeune Miwaku tremblait légèrement, ses forces l’abandonnant peu à peu. Il était hors de question de la laisser là, seule, au pied de ce bâtiment, vulnérable comme une feuille sous la pluie.
Sans un mot, elle se pencha, glissa un bras sous les épaules de Soshi, puis passa l’autre sous ses jambes. La jeune femme protesta faiblement, honteuse, mais Kazuko l’interrompit d’un murmure à peine audible :
« Ce n’est pas un fardeau. C’est mon rôle. »
Avec une facilité inattendue, elle la souleva, légère comme une plume, puis l’installa avec soin contre elle, calant la tête de Soshi contre son épaule. Elle ajusta sa cape autour des deux corps, les enveloppant comme un cocon de dignité et de chaleur. Ensemble, elles commencèrent à avancer. Kazuko longea les quais avec détermination, portant Soshi sans effort apparent. Sa posture restait droite, stable, comme si chaque pas confirmait une promesse ancienne : celle de ne jamais laisser un membre du clan derrière.
Le secteur A34 n’était pas loin. En remontant une ruelle plus calme, elle repéra le bâtiment désigné : un ancien entrepôt de Kumo, discret, solide, aux murs de pierre volcanique rongés par le sel. Un blason à demi effacé ornait le linteau l’emblème de Kumo, à peine visible. Kazuko s’arrêta devant la porte. Elle jeta un coup d'œil vers Soshi, dont les paupières mi-closes trahissaient l’épuisement. Elle murmura doucement :
« Nous y sommes. Repose-toi encore un peu. Je suis là. »
Puis, tenant toujours Soshi d’un bras, elle poussa la porte de l’autre. Le bois résista un instant, grinça, puis céda. L’intérieur était silencieux. Des rais de lumière passaient à travers les planches disjointes, illuminant des caisses empilées, des tissus poussiéreux, des outils de port abandonnés. L’air était chargé d’humidité, mais calme.