Shônin sentit une tension se dissiper dans l’air quand Akiko se tut, brièvement. Ce silence-là n’était pas vide : il vibrait d’une décision en train de naître, fragile, tendue. Dans les yeux rouges de la jeune femme, elle lut ce qu’elle connaissait trop bien cette prudence instinctive, ce mélange d’espoir et de peur qui n’apparaît que quand on est acculé. Quand tendre la main devient plus risqué que fuir… mais qu’on la tend quand même.
Elle soupira longuement laissant échapper le poids de cette demande particulière. La décision était déjà prise. Peut-être depuis l’instant où elle avait vu l’autre femme calmer Akiko d’un seul geste silencieux. Peut-être même depuis qu’elle avait compris que ces femmes cherchent à vivre sans devoir constamment se cacher du danger omniprésent ; l'Empire.
Exfiltrer un enfant... Combien de fois l’avait-elle fait, ou tenté de le faire ? Combien avaient réussi ? Elle n’avait jamais compté. Elle avait simplement continué de le faire, comprenant chaque situation désespérée. Un espoir unique offrant un semblant de liberté pour les égarés, les méprisés et les chassés...
Elle n’avait pas besoin d’en dire plus. Pas de promesse solennelle, pas de long discours. Ce n’était pas son style, et ce n’était pas le moment. Elle détourna légèrement le regard vers son cheval, comme pour s’ancrer à quelque chose de concret. Les rênes pendaient, balayées par la brise nocturne, et dans ce petit mouvement banal, elle trouva la force de ne pas trop penser au reste.
« Ce n’est pas la première fois que j’aide des gens à disparaître... »
« Mais cette fois… c’est différent. »
Shônin fit un pas vers elles, non pas pour s’imposer, mais pour mieux se faire entendre. Elle choisit ses mots avec soin. Pas pour convaincre, mais pour être claire.
« Ce genre de choses… il n’y a pas de place pour l’improvisation. »
Son ton restait posé. Ni sec, ni alarmiste. Juste lucide. Elle esquissa un sourire, presque imperceptible.
« L’Empire ne rit pas, c’est vrai. Mais je ne suis pas du genre à rester là sans rien faire. Tant que je suis là, ils ne vous trouveront pas. »
Son regard s’attarda un instant sur le visage d’Akiko, puis sur celui, plus calme, de l’autre femme à ses côtés. Il n’y avait pas de peur dans ses yeux, seulement cette forme de tristesse tranquille, celle qui appartient à ceux qui ont appris à vivre avec les pertes.
« Je ne promets rien d’héroïque. J’essaierai juste d’être utile jusqu’au bout. »
Shonin laissa le silence s’installer, pour ne pas trop charger l’instant. Elle ne voulait pas les alourdir davantage. Ces femmes portaient déjà assez de fardeaux comme ça.
C'est alors qu'Akiko laissa échapper ce petit rire bref, nerveux, presque un réflexe de protection avant de demander à qui elle avait à faire. Shônin comprit. Pas besoin de grands discours. Ce rire, ce regard fuyant, cette question en apparence anodine c’était une manière de dire merci sans le dire. C’était aussi un test. Une dernière mesure de confiance.
La marchande itinérante ne répondit pas tout de suite. Elle laissa passer un souffle de vent, le bruissement discret des feuilles, comme si elle voulait que le monde lui-même prenne acte de ce moment étrange, suspendu.
« Moi c'est Shônin. Enchantée. Et vous ? »
Elle sourit, sans se forcer.