Kazuko resta silencieuse un instant. Son regard, froid et figé, ne laissait rien transparaître. Pas même un tressaillement, pas même une ombre d’émotion. Kyoko venait de confirmer la chose suivante : elle ne retrouverait pas cet l'ancien empereur Kumojin tel qu’elle l’avait connu. Seulement l’écho altéré d’une époque révolue. Elle hocha lentement la tête.
« Différent, dites-vous... »
Elle fit une pause et releva à peine le menton.
« Ce que vous ne dites pas en dit long. Mais qu’importe. J'irai le voir dans l'immédiat... »
Mais ce n’était pas là le plus grand trouble que la Kitto venait de révéler. Lorsque le nom de Kohana fut prononcé, Kazuko ne laissa rien paraître. Son visage resta aussi impénétrable qu’à l’accoutumée. Aucun mouvement superflu, aucun signe trahissant l’émotion. Pourtant, derrière ce masque maîtrisé, une onde glaciale remonta lentement le long de sa colonne.
"Kohana, ici ?" Cela n’avait jamais été dit explicitement, mais il fallait être aveugle pour ne pas comprendre ce que cela impliquait. Si elle se trouvait en ces lieux, c’était qu’elle avait prêté allégeance… non pas simplement à l’Empire de ce que comprenait l'Okasan, mais bien à Kyoko elle-même. Kazuko cligna lentement des yeux, comme pour recadrer mentalement les pièces du jeu, son esprit étant toujours dans un brouillard permanent. Kohana n’était plus une une petite fille à peine recherchée par Kumo. Elle était désormais une pièce officielle sur l’échiquier de ce nouveau monde. Une pièce instable, puissante, et probablement incontrôlable.
Sa voix était posée, presque douce, chargée d’un écho plus profond. Pas de reproche. Pas d’ironie.
« Je suppose qu’il vaut mieux cela que de la savoir seule, encore prise dans ses colères. »
Un court silence. Pas de nostalgie, mais une pensée honnête.
« Si elle est entourée, guidée… alors c’est une bonne chose. Même si ce n’est pas par moi. »
Reprit la cheffe du clan. Elle aurait dû s’inquiéter. Sa cadette restait une force incontrôlable, prompte à la violence, consumée par une colère que rien ne semblait apaiser. Une lame à double tranchant, forgée dans un Yukan dont les restes du cataclysme sont encore brûlant.
Mais au lieu de cela, une pensée calme, douloureuse, s’imposa doucement dans l'esprit de la trentenaire : "Qu’importe ce qu’elle est devenue… Elle reste, à mes yeux, le lien le plus précieux qu’il me reste en ce monde."
Elle ne cilla pas, ne détourna même pas les yeux. Juste une légère inspiration, plus lente que les autres. Elle laissa la pensée s’installer, la contenir, puis la refermer.
« N'ayez aucune crainte à ce sujet, je ne chercherai pas à la revoir. Ce n'est pas le moment et ce n'est certainement plus mon rôle désormais. »
La Miwaku ne dit rien dans l’immédiat. Elle glissa la main dans l’une des poches intérieures de sa tenue, en sortit une petite fiole d’encre d’un noir et argenté irisé aux reflets changeants. Puis un morceau de papier épais, luxueux, orné de filigranes discrets aux motifs impériaux. D’un geste précis, presque cérémoniel, elle traça un symbole au centre de la page. Le résultat était simple, élégant. Un passe-droit, rare et incontestable, accordant libre accès aux quartiers Miwaku de Kumo, y compris les plus protégés, là où résidait Kazuko.
Elle tendit le papier sans un mot de plus, si ce n’est :
« Prenez ceci. Ça vous sera utile le jour où vous serez de passage à Kumo. »
Ce geste n’était pas un simple acte de gentillesse de la part de l’Okasan, mais plutôt un cadeau adressé à la Kitto, en reconnaissance des soins qu’elle avait apportés à sa propre sœur. Malgré sa méfiance persistante envers les intentions de son interlocutrice, Kazuko savait se montrer juste. Certainement une particularité de son esprit défragmenté.