Certains pouvaient croire que le Bellâtre déployait des efforts insurmontables pour le commun des mortels, afin de revêtir cette aura. Certes, elle était le fruit d’un long travail dès sa plus tendre enfance, mais d’aucun mortel ou immortels lui avait donné le choix. Il avait dû, comme chaque âme qui vive à Kumo, s’adapter à son environnement. Si bien que sa prestance naturelle fût mêlée à son être, jusqu’à ne faire qu’un avec lui, jusqu’au plus profond de son âme.
L’Éphèbe ne faisait que sourire, mais il n’y avait nul besoin d’un regard perçant et d’un esprit affûté pour comprendre le personnage, le patin, qui s’articulait devant lui. Une pâle imitation ? Cela serait insultant. Non, il avait en face de lui, dans ce regard d’or presque dévorant, un sourire mesquin, faux. Un porteur de masque. Une créature vivant sous le joug d’une autre, avançant sur une voie qu’on lui dessinait. Un artifice, qui, derrière un discours semblant un brin perspicace, paraissait presque stupide aux oreilles des chuchoteurs. Rassemblant ces pièces, il complétait le puzzle désolant de l’oiseau blanc.
Un apprenti qui se pensait déjà maître.
Perché sur sa rambarde, observant sous toutes ces coutures l’ingénue étranger lui conter l’histoire de sa venue. Si son entrée en scène était préparée, son discours était bien maladroit. Dans une pause gloussante, le Bellâtre se permit de prévenir le conteur de fadaise des risques inhérent au métier.
« Vous devriez vous garder de colporter les rumeurs des sombres lieux… Certains détails de l’histoire ne méritent pas que l’on gaspille encore ou verve pour maintenir leur existence à flots. Il faut simplement les laisser sombrer dans l’oubli, pour ne pas heurter la sensibilité des générations à venir. »
Après cette parenthèse, L’Éphèbe adressa un nouveau un sourire doux à son invité. En tant qu’ôte, et aîné, il ne pouvait décemment laisser un jeune oisillon commettre aussi grossière erreur. Un simple cadeau de bienvenue d’un bien trop généreux hôte.
Mais la fougue et impétueuse jeunesse ignoraient que porter un masque ne faisait pas de vous un sans-visage, mais juste un comédien. Est-ce qu’il y avait du potentiel ? Sûrement. Une arrogante sensation d’invincibilité qui en ferait un misérable gâchis ? Assurément. Le Maître avait vu un bon nombre de ces jeunes talents lui quémander de le prendre sous son aile.
Impérieuse affirmation que s’autorisait l’oisillon. Avant d’entreprendre un tel voyage, il aurait dû apprendre à voler de ses propres ailes. Difficile était de conseiller les êtres, qui dans une légitimité toute relative, conforter leur sentiment de toute-puissance. Dans une provocante posture, l’oiseau blanc flirta avec l’oiseau bleu. Était-là la démonstration de sa parade de séduction ? Vulgaire, brutale et rustre ? Déçu, la seule pointe agréable fut que, si proche de ses lèvres, ses yeux dorés dans ses yeux azurés, le Bellâtre cru voir un instant son imprévisible amant lui faire la cour. Mais là encore, le goût était amer.
Alors sans même bouger, sans même paraître un instant déstabiliser par cette désespérée tentative de séduction, le Bellâtre fixa son interlocuteur.
Aussi joueur que la pâleur de son teint était l’arrogant, mais le Maître des Plaisirs était sur un terrain qu’il avait déjà exploré depuis longtemps. Dans un mouvement dont la dextérité le rendait presque invisible, le doigt du Bellâtre se posa sur le menton de Nobuhisa.
« J’ai bien constaté votre fougueuse tentative de tenter de percer les lieux de prestiges… »
Comme la caresse d’une brise, le doigt de l’androgyne se promenait sur le bas du visage du Miwaku, jusqu’à atteindre sa joue. De là, il effectua une douce pression sur sa joue, afin de décaler son visage, comme pour l’inspecter. Puis, il déploya toute la finesse de sa maîtrise. Le Bellâtre murmura d’une voix sensuelle dans l’oreille de l’enfant de l’ombre désireux de devenir lumière, son souffle chaud chatouillant sa gorge, et sa main immobilisant son visage, sans une once de brutalité.
« Peut-être que je vous monterais comment l’obtenir, un jour. »
Comme l’eau, le Bellâtre se faufila dans le dos de l’oiseau d’un mouvement fluide et gracieux. Son autre main vint alors caresser ses hanches pour se poser sur son bas-ventre, avant de venir le coller à son corps. Puis, d’un mouvement gracieux, il accompagna le Miwaku contre la rambarde. Ils surplombaient désormais le hall, du haut de ce balcon du premier étage.
« Garçon de plaisir. Drôle de vocation, même si votre génétique généreuse s’exprimant dans votre beauté est assurément adaptée. Mais avez-vous une quelconque expérience dans ce domaine ? Vos artifices de séduction ne m’ont l’air que guère nouveaux, surprenant, ou exceptionnel, alors cela me pose question… »
L’oiseau Azuré, tel une danse, pencha délicatement le corps du Miwaku pour plonger de nouveau son regard dans ses yeux. Et ainsi, tout prenait sens. De loin, ils dansaient. De près, ils jouaient. C’était tout un art finement maîtrisé dont il faisait la démonstration.
« Qu’est-ce que j’y gagne exactement ? »
Une parmi tant d’autres, mais il y avait un début à tout. Servir dans un bâtiment aussi prestigieux n’était pas offert à tous, il fallait faire ses preuves. Et comme à son habitude, le Bellâtre offrait une chance à tous ceux disant avoir un talent.
Ce qui ne l’empêchait pas de briser des rêves et des vocations pour autant.